se préparer au nouvel état

Cet article publié dans la revue NATURE le 5 décembre 2018 est intitulé

GLOBAL WARMING WILL HAPPEN FASTER THAN WE THINK

https://www.nature.com/articles/d41586-018-07586-5

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nous vous en proposons une traduction (réalisée par Bernard CORDIER / sykADAP) car nous pensons que c'est un article clair et utile pour comprendre les enjeux actuels

version téléchargeable de la traduction en français Article nature 5 decembre 2018article-nature-5-decembre-2018.pdf (141.87 Ko)

Le réchauffement global va arriver plus vite que nous pensions

Prepare for the « new abnormal »…

Se préparer au nouvel état « subnormal »

Les incendies à grande échelle (Californie, Portugal, Grèce,… , France) ; les vagues de chaleur qui battent tous les records, un climat extrême tout autour du monde, des impacts sur la santé tous azimuts.

Tout cela ne va faire que s’intensifier (will only intensify). Les gouvernements veulent savoir quoi faire et ils s’adressent à la communauté scientifique des climatologues. Le rapport spécial du GIEC d’octobre 2018 démontre pourquoi nous devons stopper le réchauffement global à +1.5°C au dessus des niveaux préindustriels et explique comment nous pouvons faire.
Entre +1.5°C et +2°C (pris comme référence lors de l’Accord de Paris en 2015), deux fois plus de personnes feront face à une raréfaction de la ressource en eau, 1,5 milliards de personnes supplémentaires seront aussi exposées à des vagues de chaleur mortelles, des centaines de millions de personnes supplémentaires seront exposées à des maladies d’origine parasitaires comme le paludisme.

Et le rapport d’octobre 18 du GIEC annonce un autre élément de grande inquiétude : le réchauffement global est entrain de s’accélérer. Avec trois tendances lourdes : les émissions en hausse, la baisse de la pollution de l’air et l’effet des cycles naturels du climat qui vont combiner leurs effets sur les vingt prochaines années pour accélérer le changement du climat et le rendre encore plus dévastateur que nous avions prévu. Selon nos prévisions, il y a une forte probabilité que nous franchissions le seuil des +1.5°C en 2030 et non en 2040 comme mentionné par le GIEC (le GIEC ne prend pas assez en compte les changements rapides en cours et garde une vision basée sur des tendances à long terme).

Les décideurs ont en fait moins de temps qu’ils pensaient pour construire une réponse. Les gouvernements doivent investir de façon encore plus urgente dans des programmes qui protègent les habitations des inondations et des incendies et qui apprennent aux personnes à gérer le stress de chaleur intense (spécialement les personnes âgées et les personnes dans la pauvreté).

Les nations doivent rendre leurs forêts et leurs fermes agricoles plus résilientes aux sècheresses et préparer les côtes aux immersions et inondations. Le réchauffement rapide va créer un besoin critique de politiques sur les émissions pour atténuer les changements trop rapides du climat avec par exemple un contrôle drastique sur les émissions de suie, de méthane, d’hydro fluoro carbone  (HFCs). Il pourrait aussi y avoir une nécessité de géo ingénierie solaire pour refroidir la planète en dispersant des particules réflectives dans la stratosphère en guise de parasol.

Les scientifiques du climat doivent apporter aux décideurs les études dont ils auront besoin pour les 25 prochaines années. Ils doivent dire quels sont les polluants climato actifs à contrôler en priorité pour des effets de plus grande ampleur. Ils doivent évaluer quelle politique sera la plus impactante et en même temps réaliste face à un monde dans lequel les lourdeurs administratives et les forces économiques font souvent obstacle à des politiques qui seraient trop abstraites ou idéalistes.

Un phénomène à forte inertie et qui s’accélère

Trois lignes de force indiquent que le réchauffement global sera plus rapide que prévu dans le récent rapport du GIEC

Les émissions de GES sont toujours en hausse. 37 Gigatonnes de CO2 émises en 2017 ce qui correspond à la trajectoire la plus émissive proposée par le GIEC. Ce funeste état de fait implique que les 25 prochaines années vont connaître le poison du réchauffement au rythme de 0,25 à 0,32°C par décennie. C’est plus rapide que les 0,2°C par décennie que nous avons connu depuis les années 2000 et qui a servi de référence au dernier rapport du GIEC

Les gouvernements améliorent la situation des pollutions atmosphériques plus rapidement que le GIEC et autres modèles climatiques ont prévu. Par exemple la Chine a réduit ses émissions de SO2 provenant de ses centrales thermiques de 7 à 14% entre 2014 et 2016, alors que la plupart des modèles climatiques avaient anticipé des augmentations. Une pollution moindre est bénéfique pour les cultures et la santé humaine, mais les aérosols, y compris les sulfates, les nitrates et les composés organiques réfléchissent le rayonnement solaire. Ce voile d’aérosols a maintenu la planète artificiellement rafraichie d’une valeur qui pourrait être estimée à -0.7°C.

Il y a des signes que la planète soit entrée dans un cycle naturel de réchauffement pour les deux prochaines décennies. L’Océan Pacifique semble en cours de réchauffement, selon un cycle climatique long désigné par le terme d’Oscillation Pacifique d’Interdécade. Ce cycle influence les températures du Pacifique équatorial et de l’Amérique du Nord. Contribuant à un effet similaire, il y a ralentissement des échanges entre eaux profondes et eaux de surface dans l’Océan Atlantique depuis 2004 sur la base des données de navires scientifiques qui étudient les profondeurs océaniques. En l’absence de ces échanges, la chaleur va s’accumuler davantage dans l’atmosphère au lieu d’être en partie absorbée par les profondeurs, comme c’était le cas auparavant.

Ces trois lignes de force se renforcent mutuellement. Et nous estimons que l’augmentation des émissions de GES combinée à la baisse de pollution atmosphérique avance la date estimée du réchauffement de +1.5°C à 2030 avec le franchissement des +2°C vers 2045. Cela pourrait être encore plus rapide avec une décrue possiblement encore anticipée de la pollution de l’air. En rajoutant les fluctuations décennales du climat on augmente la probabilité de franchir +1.5°C dès 2025.

Agir sur quatre fronts

Les scientifiques du climat et les décideurs doivent revoir leur feuille de route, leurs objectifs et leurs approches sur quatre fronts.

Besoin d’évaluations scientifiques à court terme. Les décideurs devraient demander au GIEC un nouveau rapport spécial, cette fois-ci sur les ratios du changement climatique dans les 25 prochaines années. Le GIEC doit aussi regarder au-delà des sciences physiques elles-mêmes et évaluer avec quelle rapidité les systèmes politiques peuvent répondre, prenant aussi en considération les pressions pour maintenir le statu quo venant des lobbys et de la bureaucratie. Les chercheurs devront améliorer leurs modèles climatiques pour décrire avec plus de détails les 25 prochaines années, prenant en compte les données les plus récentes concernant l’état des océans et de l’atmosphère et bien sûr incluant la prise en compte des cycles naturels du climat. Ils devront renforcer les études d’impact et de probabilités des événements extrêmes. Les analyses seront à mettre en cohérence et elles seront de grande utilité pour l’évaluation des véritables dangers climatiques et des réponses les plus appropriées.

Besoin de repenser les objectifs politiques. Les seuils de réchauffement, tels que le +1.5°C devraient être reconnus comme des outils de planification largement partagés alors qu’ils sont bien trop souvent considérés comme des seuils physico-chimiques autour desquels on doit organiser les politiques. La trop grande confiance dans les technologies « à émissions négatives » (qui permettent de capturer du CO2) qui ressort du rapport spécial du GIEC montrent qu’il devient de plus en plus difficile d’envisager des politiques réalistes d’autant plus que nous nous rapprochons de ces seuils et c’est plus facile de développer des modèles sur le papier que de mettre en place de véritables programmes qui aboutissent à des résultats.

Des objectifs réalistes devraient être basés sur des compromis politiques et sociaux et non seulement sur des paramètres géophysiques. Cela devrait ressortir sous forme d’analyses de coûts-opportunités et de faisabilité. Les évaluations de ces compromis devront être réintroduits au sein de l’Accord de Paris qui a besoin de mieux assurer le suivi de l’effet réel des politiques sur les émissions. Une évaluation plus précise pourra être une incitation à l’action mais pourra aussi être l’objet de controverses politiques car cela va mettre à jour les écarts entre ce que disent les états de ce qu’ils vont faire pour réduire les émissions et ce qui doit être réalisé collectivement pour réduire le réchauffement. L’information sur les compromis ne devrait pas venir du GIEC lui-même mais des Académies des Sciences, des partenaires nationaux et des ONG.

Besoin de concevoir des stratégies d’adaptation. Le temps pour une adaptation rapide est arrivé. Les décideurs ont besoin de deux types d’information de la part des scientifiques pour construire leurs réponses. Tout d’abord ils doivent connaître quels risquent d’être les impacts potentiels locaux à l’échelle de villes ou de pays. Certaines de ces informations pourraient être la combinaison d’évaluations d’impacts climatiques à l’échelle locale avec des traitements en Intelligence Artificielle de Big Data sur les extrêmes climatiques, la santé, les dommages aux biens, etc. Par ailleurs, les décideurs devront prendre en compte les incertitudes dans la réalisation des phénomènes comme dans la réussite des réponses. Même des régions très proactives dans la mise en place de politiques d’adaptation comme la Californie manquent d’informations sur les évolutions permanentes des niveaux de risque de chaleur extrême, d’incendies ou de montée des eaux. La recherche doit intégrer aussi les domaines de l’environnement et des infrastructures : planification urbaine, santé publique, agriculture et services éco systémiques. Les stratégies d’adaptation doivent rester ajustables si les développement divergent avec les prévisions et aussi davantage de prévisions et d’évaluations des coûts seront nécessaires sur les situations les plus exposées.

Besoin de regarder les options pour une réponse rapide. Les études sur le climat doivent évoluer sur les possibilités de minimiser rapidement les impacts climatiques, comme par exemple la réduction d’émissions de méthane, de suie ou de HFCs. Ces trois super polluants ont un impact de 25 à mille fois plus élevé que le CO2, par contre leur durée de vie atmosphérique est courte de quelques semaines pour la suie à environ une décennie pour le méthane et les HFCs. Réduire drastiquement ces polluants pourrait potentiellement diminuer de moitié la tendance au réchauffement de ces 25 prochaines années.

Il y a eu des progrès sur ce front : au sommet Global Climate Action qui s’est tenu à San Francisco en septembre, l’Alliance des États Unis pour le Climat qui regroupe des états regroupant 40% de la population US a proposé une feuille de route pour réduire les émissions de méthane, HFC et suie de 40 à 50% d’ici 2030. De même, l’amendement de Kigali du Protocole de Montréal, qui rentre en application en Janvier 2019 est destiné à couper les émissions de HFC de 80% sur les trente prochaines années.

Plusieurs réponses d’ingénierie climatique devraient être sur la table pour les situations d’urgence extrême à venir. Si les conditions générales se dégradent vraiment nous serions forcés d’extraire de grandes quantités de CO2 directement dans l’atmosphère. Une réponse encore plus rapide pourrait être d’injecter des aérosols dans l’atmosphère pour diminuer la quantité de radiations solaires qui réchauffent la planète comme le fait la pollution de l’air. Cette option est très controversée et pourrait avoir des conséquences non intentionnelles comme de modifier le régime des pluies, conduisant à une désertification accrue des zones tropicales. Donc la recherche et la prévention sont essentielles et vitales. Tant qu’il n’y a pas d’investissement dans des expérimentations et une expertise technique (sachant qu’aujourd’hui il n’y en a pratiquement pas) les risques sont grands que des programmes de géo ingénierie à effets désastreux soient déployés par des parties prenantes insuffisamment documentées par la recherche.

Depuis des décennies, les scientifiques et les décideurs ont verrouillé le débat sur les politiques climatiques selon un seul angle : les scientifiques analysent les évolutions à long terme et les décideurs prétendent s’y conformer. Des politiques climatiques sérieuses doivent maintenant se focaliser sur le court terme et la faisabilité. Elles doivent prendre en compte toutes les options, y compris celles qui sont inconfortables et lourdes de conséquences.

 

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