Cassou prend la parole sur l'autoroute

Christophe Cassou @cassouman40  

Directeur de Recherche @CNRS , Climatologue Auteur principal 6e rapport #GIEC/

Toulousecastres

Mobilisation massive citoyenne & non violente pour dénoncer l'autoroute #toulousecastres, emblématique de futurs obsolètes. J'ai accepté de prendre la parole à l'invitation du collectif a un moment démocratique et politique particulier. Pourquoi? Fil de mon discours [en toute transparence]

La décision de prendre la parole à un rassemblement citoyen militant ne se prend pas à la légère pour le scientifique que je suis, pour les scientifiques que nous sommes, mes collègues et moi. Elle se réfléchit, elle se discute; elle est engageante.

L'ensemble des éléments/temporalités est considéré. Bien évidemment les éléments scientifiques qui constituent notre cœur de métier, mais aussi le contexte politique, au sens « faire-société » & vie démocratique.

Nous sommes un grand nombre dans la communauté scientifique à penser que nous sommes à un moment pivot, un moment charnière, et la responsabilité des décideurs et de la communauté scientifique est immense dans la temporalité actuelle.

Je suis intervenu comme scientifique du climat, à titre personnel comme citoyen, en exerçant mon droit à la liberté d’expression. Tout comme ma collègue @valmasdel lors de la soirée de réaction face à la menace de dissolution @lessoulevements de la Terre.

C’est notre rôle de scientifique du climat de rappeler haut & fort cette liberté d’expression, la liberté de revendiquer, de contester l’utilité de certains projets au regard des enjeux de transformation de fond indispensable pour minimiser les risques futurs en climat dérivant.

Tout en condamnant de la manière la +ferme et la +claire possible toute forme de violence. Tout cela à un moment ou criminaliser & intimider les activistes climatiques est devenu une stratégie politique dans tous les pays et en France.

Cf https://www.theguardian.com/environment/2021/apr/19/environment-protest-being-criminalised-around-world-say-experts

Le rapport de synthèse du #GIEC est sorti il y a un mois environ. C’est la fin d’un cycle de 8 ans de synthèse et d’évaluations porté par plus de 1000 scientifiques de toute nationalité. Je le résume en 3 mots : 2 adjectifs : GRAVE, URGENT, et un adverbe : AUTREMENT.

GRAVE : Le #ChangementClimatique, c’est aujourd’hui, maintenant, ici en France, partout dans le monde. On le vit, perçoit au quotidien et il s’intensifie. 2022 est emblématique du climat qui change: chaleurs extrêmes, sécheresses, pénuries d’eau, incendies, rendements agricoles.

URGENT : Chaque dixième de degré additionnel induit des risques supplémentaires et nous rapproche chaque jour des limites dures de l’adaptation à un climat qui change, nous rapproche chaque jour de l’irréversibilité pour les écosystèmes et les sociétés humaines.

Les politiques climatiques actuelles nous conduisent vers un monde à environ +2°C vers 2050, +3°C vers 2080-2100. Sur cette trajectoire, les nouveau-nés de 2020 seront confrontés en moyenne à 7 fois plus de vagues de chaleur au cours de leur vie que leurs grands-parents.

Nous sommes entrés dans le dur et on voit bien, on l’expérimente dans notre quotidien, que les mesures cosmétiques, les mesures incrémentales, les mesures palliatives qui nous permettent de gérer plus ou moins bien les successions de crises, ces mesures-là ne suffisent plus.

Le 6e rapport du #GIEC pointe le décalage entre actions d’adaptation & ce qui serait nécessaire. Le rapport du #GIEC pointe le décalage entre actions de décarbonation/attenuation & ce qui serait nécessaire.

Pour la France, Le Haut Conseil pour le Climat @hc_climat insiste chaque année sur le hiatus entre objectifs et réduction effective des émissions de gaz à effet de serre qui devrait aller 2 fois plus vite. Insuffisance également des politiques transformatives nécessaires.

Nous sommes face à des enjeux de transformation collective. Nous sommes face à des choix fondamentaux de société, de faire société, de vivre ensemble, de relations aux communs, de relation au non-humain.

Le 6e rapport du #GIEC insiste sur le fait que le statu-quo n’est plus une option pour limiter les risques parce que chaque incrément de température rend l’adaptation +complexe avec des risques en cascade, qui touchent en 1er les +vulnérables & les -responsables du CC.

Il faut faire AUTREMENT. Il faut lutter contre les réflexes de développement qui ont pu se justifier à une époque mais qui aujourd’hui, ne sont plus du tout compatibles avec les enjeux climat-biodiversité.

L’autoroute #toulousecastres est emblématique des vieux réflexes, l’antonyme de « autrement ». Acter la construction d'une nouvelle autoroute nous verrouille directement ou indirectement dans les fossiles et ne nous permet pas de repenser la mobilité, entre autres.

Ne pas renoncer à des projets comme #toulousecastres considérant les enjeux climat-biodiversité d'aujourd'hui est un véritable déni d'un monde qui se transforme, un véritable aveuglement.

Ils nous verrouillent dans les schémas de développement du 20e siècle qui sont morts ou sont mourants : économiquement, les nouvelles autoroutes sont des futurs obsolètes, très probablement des actifs échoués, c’est-à-dire des investissements dont la valeur est dévalorisée par l’évolution sociétale, celle des modes de vie, des réglementations... De la dynamique du renoncement peut émerger des alternatives intéressantes & créatrices. Renoncer, ce n’est pas « perdre »; c’est faire AUTREMENT.

Voilà des années que nous scientifiques, alertons sur ce que dit la science. C’est notre rôle, c’est notre mission. En 2023, on ne peut pas, on ne peut plus dire que l’on ne sait pas…

Mais quand le gouvernement et les acteurs économiques décident de considérer un niveau de réchauffement de +4°C sur la France (équivalent +3°C monde) pour encadrer la politique d’adaptation de la France, réalisent-ils ce que cela signifie concrètement?

Ce climat-là +4°C France correspond au scenario tendanciel pour la fin du siècle, celui que l’on suit avec les politiques climatiques actuelles sur la table. Les décideurs politiques et économiques ne décident pas juste pour eux-mêmes. Ils engagent notre avenir à tous.

Aujourd’hui, le chercheur & citoyen que je suis, est en colère, tout comme beaucoup de mes collègues. Pourquoi ? 1/ Parce que l'on se sent impuissant 2/ Parce que l’on sait, de manière claire, ce qu’il va se passer. Et c'est très inquiétant! Il ne s'agit pas d’être anxieux mais lucide!

La communauté scientifique ressent aussi une grande frustration. L’effort produit pour évaluer les risques liés au #ChangementClimatique mais aussi les solutions disponibles à des problèmes complexes, cet effort-là est énorme, tout ça pour au final être trop souvent magistralement ignoré ou pire, prétendre tenir compte de la science alors que ce n’est pas le cas, faire semblant de faire, ou bien encore instiller le doute dans les résultats de manière sournoise et indirecte.

Le scientifique informe, le politique décide & doit assumer ses choix. Aujourd’hui le paysage politique & les tensions sociétales sont tels que le simple fait de communiquer les faits scientifiques, leur caractère complexe & non binaire, fait passer les scientifiques pour des militants. Cet ensemble de facteurs fait qu' aujourd’hui, ns sommes quelques-uns à intervenir dans le débat, comme scientifiques du climat, mais aussi comme citoyens & à titre personnel, pour défendre les droits fondamentaux à la liberté d’expression, tout en portant & partageant la connaissance.

Il est indispensable que toutes les voix puissent se faire entendre sur les enjeux actuels, le tout sans être stigmatisé, remis en cause, menacé, provoqué, intimidé, etc. Nous sommes face à un enjeu démocratique majeur.

L’ensemble s’accompagne de vérités alternatives, de désinformation. Les stratégies de diversion se mettent en place pour éviter que l’on parle du fond et in fine favoriser l’inaction et le statuquo portés par des intérêts particuliers, au détriment de l’intérêt général.

Certains mots stigmatisent, «terrorisme intellectuel» etc., enferment dans le but de décrédibiliser la désobéissance civile non violente qui est pourtant un recours fondamental en démocratie pour s’opposer à des lois qui sont injustes et/ou pas adaptées aux enjeux les +urgents.

Les mouvements de citoyens contribuent au débat démocratique; les réduire à des actions de violence est une stratégie de diversion qui empêche de parler du fond. C’est-à-dire 1/ +4°C sur la France pour l'adaptation 2/ leviers de décarbonation pour ne pas atteindre ce niveau

Dans le 6e rapport du #GIEC, il est évalué qu’un engagement +fort de la société civile permet d’accélérer la prise de conscience collective sur les enjeux climatiques, que les mouvements non violents contribuent de manière positive et inspirante au débat démocratique. Je rejette clairement toute violence physique, morale, mentale, un monde ou la violence appelle a la violence; la non-violence est exigeante, beaucoup plus exigeante, mais elle est, à mon avis, d’une immense puissance.

Les conditions favorables à l'adaptation au CC mais aussi aux leviers d’actions sont une gouvernance inclusive, des décisions qui mettent au centre équité & justice, c’est-à-dire qui n'écartent personne, & des décisions qui sont basées sur transparence & partage des connaissances.

Je termine mon discours par une citation de Bruno Latour: « le défi est de préserver la cause commune, tout simplement l’habitabilité de la Terre, à partir d’une myriade d’intérêts dispersés. »

Certains redoutent un « effondrement climatique » faisant prochainement basculer les sociétés humaines et les écosystèmes d'aujourd'hui dans un monde invivable. Cet effondrement-là, j'en cerne en partie le volet géophysique; c’est mon objet d’étude.

Mais perso, je redoute peut-être davantage un «effondrement des valeurs», c’est-à-dire un monde muselé ou les droits fondamentaux sont bafoués & les forces de cohésion sociale, dialogue, partage, justice & équité, de solidarité sociale & territoriale, de respect du vivant, sont rompues

Cette dynamique-là est incompatible avec la lutte contre le changement climatique, la préservation de l’humain et du non-humain. C’est ce futur-là dont je ne veux pas. Pas uniquement en tant que scientifique, mais aussi en tant que citoyen. [Fin de mon discours, 22 Avril 2023]

Bravo et merci au collectif @LaVoieEstLibre_ d'avoir organisé avec tant de sagesse, maîtrise & intelligence collective, ce rassemblement festif & non-violent qui fait taire les marchands de haine qui n'attendaient que débordement, saccage et violence. Le défi était immense. Des rencontres magnifiques au cours de la marche, des échanges intéressants et très instructifs, de l'intergénérationnel, du collectif, une vraie chaleur humaine ... de l'espoir, une respiration. #NoMacadam

 

éducatif citoyen justice climatique

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