le livre de Bruno Latour fait parler

Laurent MERMET propose une critique du livre de Bruno LATOUR "Où atterrir?" "Comment s'orienter en politique"

cf conférence de Bruno LATOUR sur son livre "Où atterrir?"

 

Voici notre analyse critique de l'analyse critique de Laurent MERMET !

Réponse à Laurent MERMET sur son analyse du « Où atterrir ? » de Bruno LATOUR

1°) Le sens moral universel (qui peut se concrétiser aujourd’hui dans la notion de Droits de l’Homme et du Vivant) ne serait peut-être pas un horizon de la mondialisation, donc pas du tout de même nature que l’avènement technologique généralisé. Cf : Baptiste MORIZOT « Les diplomates » "cohabiter avec les loups sur une autre carte du vivant" p173 : « la morale coercitive émergerait comme une nécessité de réguler par des normes les comportements malveillants, dans une espèce chez qui est apparue la préméditation, où l’offense n’est pas oubliée, et où les capacités de nuisance entre congénères du même groupe sont démultipliées par l’intelligence machiavélienne. C’est une autre généalogie de la morale que celle de Darwin, Leopold et Callicot, qui postulent une continuité des « sentiments sociaux » vers le sens moral. »

2) Faire un raccourci entre des médias qui ne font pas le travail de compréhension et ont des biais de manipulation et l’approche de Bruno LATOUR qui considèrerait TRUMP comme un idiot, est-ce en cohérence avec le contenu du livre ? S’interdire de pousser la comparaison de TRUMP jusqu’à HITLER (lui non plus n’était vraisemblablement pas un idiot), pourquoi cette limite ? HITLER a pu avoir un rôle structurant géopolitique du même type que celui que Laurent MERMET convoque chez CHURCHILL. La différence qui les séparerait ne serait-elle pas du registre de la « morale coercitive » au sens de Baptiste MORIZOT. Ne serait-on pas dans une configuration finalement assez comparable avec un TRUMP qui remet en cause les équilibres géopolitiques de la planète mais a aussi un impact physico-biochimique et donc une capacité de nuisance incommensurable ?

3) La question du territoire, ce que Laurent MERMET approche par la notion de « distributif », est un invariant de grandes catégories du vivant dont nous faisons partie. Cf Baptiste MORIZOT p 93 « la territorialité est une forme très particulière de compétition, dans laquelle l’animal n’a besoin de triompher que relativement peu de fois, voire une seule. Conséquemment, le résident dépense beaucoup moins d’énergie qu’il ne le ferait s’il était forcé à entrer en confrontation chaque qu’il entreprend de manger en présence d’un congénère. » Elle s’articule avec la notion de rapports de droits (de contrat voire d'avantage acquis) et celle de rapports de force et Baptiste MORIZOT introduit du contrat aussi chez les animaux en explicitant une approche diplomatique plutôt qu’un déploiement de négociations.

Le corollaire en est un partage de la ressource selon des systèmes de droit et de pensée qui entrent en conflit. Par exemple notre système de droit fondé sur la propriété en conflit avec celui commun aux loups et à certains peuples aborigènes où « n’appartient à un autre prédateur que ce qu’il peut protéger » Cf p124-6. TRUMP pourrait aussi s’analyser selon une approche du droit et des rapports de force renouvelée qui inviterait à une relecture diplomatique d’envergure …

Du coup cette notion de territoire à défendre entre en dialogue avec celle proposée par Bruno LATOUR qui nous invite à revisiter les Cahiers de Doléance.
Les Cahiers de Doléances ne sont pas simplement un inventaire demandé par un puissant à ses sujets, ce serait confondre le point de départ avec les déploiements imprédictibles qui s'en sont suivis par tout un processus de relecture en profondeur des systèmes d’imposition et de détournement des ressources en vigueur à ce moment-là, sur fond de morale coercitive.
Par les Cahiers de Doléance s’inaugure à nouveau un processus de compréhension profonde de notre propre territoire (c'est ce qui nous manquerait aujourd’hui et aurait manqué aux électeurs du Brexit ou de TRUMP: un diagnostic bien différent de simplement les considérer comme des idiots).
Ce travail a été réalisé par le peuple français en 1789 avec les conséquences que l’on connaît et il peut être en train d’émerger à nouveau pour des raisons analogues en poursuite d'évènements en cours de novembre-décembre 2018.

Le questionnaire de Bruno LATOUR a été pour notre collectif associatif opérant et éclairant : ce fut une bonne proposition de départ, dont nous nous sommes emparés en août dernier (cf Camp Climat 2018_le BILAN ). La réflexion va se poursuivre et s’en trouver vivifiée par le contexte actuel.

4) Il est intéressant de discuter la représentation cartographique de Bruno LATOUR avec la proposition tridimensionnelle que propose Laurent MERMET.
Laurent MERMET nous dit que l’opposition serait mal assumée entre local et terrestre par Bruno LATOUR. Pourquoi ? La dynamique d’un retour impossible à un local essentiellement vertueux nous paraît assez explicite. Et c’est d’ailleurs le caractère dynamique de la cartographie de Bruno LATOUR qui la rend innovante, performative et particulièrement intéressante. La représentation que propose Laurent MERMET de façon alternative revêt par contraste un caractère descriptif et statique et n’introduit pas de perspectives pour l’avenir.

Cartographies comparees

 

Laurent MERMET a répondu à notre critique (commentaire sur YouTube)

Merci pour votre commentaire très argumenté. Nous sommes en désaccord, très clairement, sur tous les points que vous soulevez. Je rebondis sur deux.

Vous opposez la diplomatie et la négociation; je dois dire que je peine à concevoir une diplomatie dont le fondement essentiel ne soit pas la négociation. La manière dont vous décrivez la diplomatie correspond d'ailleurs trait pour trait à la théorie de la régulation de Jean-Daniel Raynaud, pour qui ce que l'on négocie ce sont toujours des règles.

Par ailleurs vous considérez ma cartographie comme statique et celle de Bruno Latour comme dynamique. Pour moi c'est l'inverse. Préoccupée essentiellement par la question "comment être progressiste aujourd'hui", la cartographie de Latour débouche sur l'ambition de faire confluer toutes les bonnes causes dans la direction du "terrestre" et de rejeter le reste dans l'obscurité de la bêtise ou de la méchanceté (le hors-sol, l'utopie globale, le local-moins, etc.). Cela débouche sur une sorte d'entonnoir où l'action pour l'écologie se trouve figée dans un conglomérat bloqué de cause convenues. A l'inverse, le fait de rendre aux trois tensions dialectiques profondes qui structurent notre espace politique leur plein espace de jeu et de sens rend de la marge de manoeuvre pour une analyse moins aveuglée par le manichéisme (ce que vous appelez descriptif), mais dégage aussi des marges de manoeuvre pour rendre plus diverses, plus variables selon les temps, les lieux et les forces - en un mot, plus dynamiques - les alliances et les orientations stratégiques et politiques de l'action en faveur de l'environnement (et de l'action politique tout court).

 

Une lecture proposée par Simon

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